Entretien de l’ambassadeur M. André Parant avec le quotidien Liberté [ar]

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Liberté : Le 16 décembre dernier, s’est tenue la première session du Comité intergouvernemental de haut niveau. Quel bilan avez-vous tiré de cette rencontre ?

André Parant : La tenue de la première session du Comité intergouvernemental de haut niveau était prévue dans l’agenda bilatéral depuis la visite d’État du président de la République, au mois de décembre 2012. Il avait été décidé à cette occasion la création d’un Comité intergouvernemental de haut niveau, qui est une instance de dialogue et de concertation au niveau des Premiers ministres. Il avait été convenu, à ce moment-là, que la première réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau aurait lieu en 2013.

La session a été l’occasion, à la fois, de mesurer les progrès accomplis sur tous les volets de la relation bilatérale, depuis la visite d’État, et puis en même temps de tracer une feuille de route, pour les mois et les années à venir. La réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau s’est déroulée en présence du Premier ministre français et de neuf ministres qui l’accompagnaient. Il y a quatre grands volets dans notre relation : le dialogue politique et de sécurité, la coopération, le volet économique et, enfin, la dimension humaine de la relation.

Les ministres ont travaillé ensemble, dans le cadre des groupes de travail, sur chacun de ces quatre volets. Puis il y eut une séance plénière de restitution, qui s’est conclue par la signature d’un certain nombre d’accords, et par la publication d’un communiqué conjoint, qui a pris acte de ce qui a été réalisé depuis la visite d’État et qui, en même temps, a défini un certain nombre d’objectifs et d’orientations pour la suite. L’idée étant d’entretenir et d’amplifier cette dynamique donnée à notre relation depuis la visite d’État du président Hollande en décembre 2012.

Vous pensez, donc, que cette rencontre a été un succès ?

Je pense que cela a été très utile. Les objectifs assignés à cette réunion ont été atteints, puisque dans chacun des volets, on a pu prendre note des progrès réalisés. Nous avons identifié un certain nombre de sujets ou d’objectifs sur lesquels nous allons travailler conjointement. On a constaté que notre dialogue s’était intensifié au cours de cette année. On se rencontre beaucoup plus souvent avec la partie algérienne pour évoquer les sujets politiques d’intérêt commun, des questions notamment régionales ou internationales.

Nos ministres des Affaires étrangères se sont rencontrés à plusieurs reprises. Il y a eu aussi beaucoup de rencontres avec des fonctionnaires des deux ministères des Affaires étrangères, des fonctionnaires des ministères de la Défense, sur un certain nombre de thématiques. On a signé en marge de la réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau une convention sur le dialogue politique, qui structure notre dialogue politique pour l’avenir. Ces rencontres vont donc se multiplier au cours des prochains mois et des prochaines années. Dans le domaine de la coopération, il y a beaucoup de choses qui ont avancé.

On avait signé, au moment de la visite d’État du président Hollande, le document-cadre de partenariat qui couvre la période 2013 -2017. On a entamé la mise en œuvre de ce document. Il se décline en un certain nombre d’actions de coopération dans différents secteurs, notamment tout ce qui se rapporte à l’éducation, à l’enseignement supérieur et la formation professionnelle.

Dans le domaine de l’éducation, M. Peillon, ministre de l’Éducation nationale, est venu, ici, en visite au mois de juin. Il y a eu une première rencontre avec son homologue, M. Baba Ahmed. Ils se sont revus à Paris au mois de novembre. Tout cela a débouché sur la définition d’un plan d’action. Dans l’enseignement supérieur, aussi. Des contacts ont été pris. On prépare, au mois de janvier, la prochaine conférence franco-algérienne de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui verra la venue en Algérie de Mme Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Concernant la formation professionnelle, lors de la visite du président, il était prévu que la France apporterait en particulier son concours à la mise en place par l’Algérie d’un réseau d’instituts d’enseignement supérieur technologique.

Dans un premier temps, il s’agissait de mettre en place quatre instituts. L’idée, je crois, des autorités algériennes à terme, est d’ouvrir un plus grand nombre d’instituts à travers tout le territoire algérien. La coopération française a permis la mise en place de quatre premiers instituts, qui vont ouvrir à la rentrée 2014.

Dans le domaine, de ce qu’on appelle la gouvernance, la coopération, aussi, s’est beaucoup développée, notamment entre les ministères de la Justice ainsi qu’entre la police française et la police algérienne, la gendarmerie française et la gendarmerie algérienne. C’est le cas également de la Protection civile. Ce sont essentiellement des actions de formation.

La coopération économique a été le parent pauvre ?

Non, depuis la visite d’État du président de la République, on a mis en place cette structure de concertation qui s’appelle le comité mixte économique franco-algérien. Un certain nombre d’accords sectoriels ont été signés dans les domaines du commerce et des transports. De grands projets d’investissement évoqués au moment de la visite du président de la République sont maintenant sur les rails. Le plus connu et le plus évident, c’est le projet Renault. Les choses ont bien avancé. Le calendrier est entièrement respecté.

Comme prévu, l’usine de construction de véhicules à Oran sera inaugurée probablement, après l’été 2014, en septembre. Le premier véhicule devrait sortir des chaînes de montage avant la fin 2014. Le projet Lafarge avance bien. Il y a aussi le projet de construction d’une usine de fabrication de médicaments de Sanofi. Il y a beaucoup de choses qui ont avancé, grâce, également, à l’intervention et au rôle de M. Jean-Pierre Raffarin. Un forum de partenariat économique a été organisé, au mois de mai, par Ubifrance.

Des entreprises françaises sont venues en Algérie. Elles ont noué des contacts avec des entreprises algériennes. Cela a débouché sur la signature de quelques accords en marge de la réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau la semaine dernière. Les contacts noués à l’occasion du forum du mois de mai n’ont pas fini de produire leurs effets. Et puis une cinquantaine d’entreprises françaises ont participé à la rencontre organisée en marge de la réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau.

On peut espérer que les contacts noués déboucheront sur des accords de partenariat. En plus des accords entre entreprises, sept protocoles d’accord de coopération industrielle et technologique ont été paraphés. Je considère que le volet économique n’est pas le parent pauvre. Au contraire, il a bénéficié d’une attention privilégiée et particulière à l’occasion de cette visite.

Vous pensez, aujourd’hui, que la perception des entreprises françaises du marché algérien a changé, d’autant que le gouvernement français, lui-même, a constaté que des PME françaises avaient quitté l’Algérie entre 2005 et 2011. Pourquoi ?

Oui, on essaie de les faire revenir. Le marché algérien a été perçu, pendant un certain temps, comme un marché difficile par les entreprises françaises. C’est cette perception que les autorités algériennes et françaises s’attachent à faire changer, pour convaincre les entreprises françaises que le marché algérien est un marché porteur, prometteur sur lequel elles ont intérêt à venir se positionner.

D’autant plus que la Chine est devenue le premier fournisseur de l’Algérie, devançant pour la première fois la France ?

Je peux comprendre le malin plaisir que certains éprouvent à présenter les choses de cette façon-là, mais c’est une vision extrêmement réductrice des choses. On n’est pas dans une compétition entre la France et la Chine pour la conquête du marché algérien. La France et la Chine, ensemble, ne représentent que 25% du marché algérien, en termes de parts de marché. La réalité est que le marché algérien est de plus en plus concurrentiel, sur lequel un certain nombre de pays essaient de se positionner.

C’est à nous de faire en sorte que nos entreprises soient plus présentes et plus compétitives. C’est ce que nous nous attachons à faire. Je voudrais ajouter une chose. Nous investissons en Algérie. Ceux-là mêmes qui nous disent, regardez, vous êtes en train de perdre du terrain en termes commerciaux, nous disent comment se fait-il que vous n’investissiez pas plus sur le marché algérien.

Ce à quoi je réponds : nous investissons sur le marché algérien. La France est le premier investisseur hors hydrocarbures en Algérie, avec un flux d’investissement qui varie, selon les ans, entre 200 et 250 millions d’euros, soit 20 à 25 milliards de dinars. Le stock d’investissements privés français en Algérie est estimé à environ 2 milliards d’euros, soit 200 milliards de dinars. Nous faisons un effort pour encourager nos entreprises à investir en Algérie, parce que nous pensons que c’est aussi l’intérêt de nos entreprises que d’investir en Algérie. Il est évident que dans un certain nombre de cas, à court terme, l’investissement en Algérie va se traduire par une diminution de nos exportations vers ce marché. Mais, dans une perspective à long terme, c’est une bonne chose. Parce qu’on est dans le concept de coproduction et que le marché Algérie, en croissance, peut être un point de départ pour la conquête de nouveaux marchés.

Nous voulons nous inscrire dans une démarche à long terme. Et à long terme, c’est en développant l’investissement en Algérie, en favorisant la création d’emplois, le transfert de compétences et de technologies que nos entreprises françaises préserveront leurs intérêts

Qu’en est-il de l’opération d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français au Sahara ?

Il y a une loi française qui prévoit, sous certaines conditions, l’indemnisation des victimes des essais nucléaires et de leurs ayants droit. Cette loi n’introduit aucune discrimination à raison de la nationalité des victimes ou de leurs ayants droit. Jusqu’à présent un nombre relativement peu important de dossiers concernant des Algériens ont été présentés (quelques dizaines).

Ils n’ont pas donné lieu à indemnisation, la commission ayant estimé que les conditions prévues par la loi n’étaient pas réunies. Ceci étant, encore une fois, ces conditions sont les mêmes pour tous, et de nombreux ressortissants français ont vu, pour les mêmes raisons, leurs demandes rejetées. Avec les autorités algériennes, nous avons convenu de nous réunir prochainement à Paris, en vue d’échanger sur ces questions.

Les derniers propos du président François Hollande ont suscité une certaine polémique en Algérie et en France…

Le chapitre est clos. Nous avons beaucoup mieux à faire les uns et les autres. Comme je l’ai dit, la relation avec l’Algérie recouvre des enjeux extrêmement importants pour les deux pays. La visite d’État du président Hollande en décembre 2012 a permis de mettre notre relation sur de bons rails et de lui donner une nouvelle impulsion.

La réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau, en présence des deux Premiers ministres, a confirmé ce renouveau de la relation bilatérale. Elle a débouché sur des résultats que je considère comme extrêmement positifs. C’est cela qui est important. Et c’est cela qui doit nous mobiliser.

Par : Meziane Rabhi

publié le 10/01/2021

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